Mis en ligne par Suzannah Horowitz
De passage en France cette semaine, père Manuel Musallam, curé de Gaza de 1995
jusqu’à cette
année, témoigne des Intifadas et des opérations israéliennes vécues auprès des Palestiniens. Paroles d’un résistant.
Par Henrik Lindell
- Témoignage chrétien
Manuel Musallam est à 72 ans un résistant sans armes. Qui a appris à prôner une paix juste et
prêcher l’amour du prochain quand tout incite à la haine. Il est un de ces héros qui a survécu à l’opération israélienne « Plomb durci » l’hiver 2008-2009. Maintenant, il
refuse le silence.
De passage en France jusqu’au 10 juin à l’occasion du lancement d’un livre d’entretiens écrit avec Jean-Claude Petit (éd l’Aube), il donne des conférences
où il évoque les souffrances et la lutte de son peuple. Le 28 mai, il a donné une conférence de presse à Paris devant des journalistes. Nous l’avons écouté.
« Gaza est toujours sous la pression d’un crime contre l’humanité. C’est un crime de guerre qui dure depuis des années », dit-il d’emblée en
évoquant la politique israélienne à l’égard de Gaza avec les bouclages et les opérations militaires.
Ainsi « Plomb durci » en décembre 2008-janvier 2009 qui a causé la mort d’environ 1500 Palestiniens dont plusieurs centaines d’enfants :
« C’était comme n’importe quelle attaque israélienne avec des chars, des bombardiers et des soldats. Mais au lieu de durer un jour, elle a continué pendant
22 jours. C’était terrible ! »
Manuel Musallam évoque avec beaucoup d’émotion la terreur vécue par les enfants. Directeur de l’Ecole de la Sainte-Famille, il a accueilli et aidé des
écoliers et leurs familles tout au long de l’opération et pendant les mois difficiles qui ont suivi.
« Les enfants étaient … comment vous dire … étourdis. Ils ne jouaient plus, ils ne parlaient plus, ils étaient tous malades. Je ne les avais jamais vus comme ça. Pendant la journée, quand
les bombardements avaient cessé, ils venaient à l’école, s’installaient à leur place, et ne bougeaient que pour aller aux toilettes. Certains avaient vu des membres de leurs familles se faire
massacrer. D’autres avaient vu leur maison s’effondrer. C’est à ces enfants-là qu’on va essayer de dire que la paix est possible. Mais la paix ne peut pas pénétrer leurs cœurs. Ils sont nourris
par la haine. »
Mourir pour la Palestine?
Le curé de Gaza a lui-même vécu de nombreuses privations comme tout le monde. Or la guerre donne parfois l’occasion
d’innover : « Pendant un mois, on n’avait pas de l’eau potable. Mais la Providence nous a donné des carottes ! On les donc pressées pour obtenir du
jus. C’est ainsi que j’ai survécu », se souvient-il en souriant.
Mais le manque d’eau n’était qu’un détail dans cette terreur au quotidien. « Nous disons en tant que croyants que la souffrance fait partie de la vie. Mais
cette souffrance-là n’est pas salvifique. C’est trop. On en arrive à se poser la question suivante : faut-il devenir esclave d’Israël ou mourir ? Je n’accepte pas d’être
esclave. »
Mourir pour la Palestine ? Comme tant de ses compatriotes, Manuel Musallam doit souvent se poser cette question malgré lui. L’armée israélienne ne
donne guère le choix. Mais ce n’est pas le message qu’il dit : « Nous ne voulons pas mourir pour la Palestine ! Nous voulons vivre pour construire
la Palestine ! » Et puis il hausse le ton et lance avec émotion cette question rhétorique : « Mais que voulez-vous ? Qu’on
meurt ?! Les Israéliens nous traitent comme des esclaves. Qui l’accepterait ? Ce conflit israélo-palestinien est une question de libération d’un peuple. »
Manuel Musallam n’achète pas l’explication officielle selon laquelle « Plomb durci » était une attaque contre le Hamas. « Alors la guerre était-elle contre le Hamas ? » ironise-t-il. « Parmi les 1500 personnes tuées,
seules 40 appartenaient au Hamas. »
A la question indignée d’une journaliste sur la souffrance des enfants israéliens et une riposte nécessaire aux roquettes Qassam que les militants du Hamas
lançaient contre Israël, il répond en donnant les statistiques israéliennes : « Depuis 2001, 24 000 roquettes Qassam ont été
lancées contre Israël. Ces armes, qui sont artisanales, ont tué 13 Israéliens et 50 Palestiniens. En effet, beaucoup de Qassam sont tombés à l’intérieur de Gaza. Contrairement à Israël, nous
n’avons pas de chars ou d’avions bombardiers. »
Puis il ajoute ces mots qui reflètent ce que pensent généralement les Palestiniens : « Israël est responsable d’un terrorisme d’Etat. Nous avons
besoin d’être protégés. Voila la réalité. »
Quant à la politique d’Israël en Cisjordanie, il refuse également les justifications sécuritaires d’Israël. « Ce qui se passe actuellement à Jérusalem Est et
Sud, où Israël détruit des maisons et s’approprie des terrains comme il veut, est une invasion contre l’entité palestinienne. On peut comprendre que l’armée israélienne tue un palestinien armé
isolé pour défendre Israël. On peut même comprendre que l’armée détruit sa maison. Je ne suis pas naïf. Mais comment peut-on dire que la politique actuelle est faite pour la
sécurité d’Israël ? »
Le curé de Gaza prend soin de préciser la nécessité de dialoguer avec les Israéliens. Mais comment rencontrer des Israéliens chez eux ? « D’Israël, on
connaissait les colons à Gaza. Ils ne se mêlaient pas avec nous. Maintenant nous n’avons de relations qu’avec les soldats israéliens qui nous humilient. Ce ne seront pas des amis, ni même des
amis possibles. »
Quant aux problèmes de « cohabitation » que les chrétiens palestiniens auraient avec les musulmans, Manuel Musallam tient à préciser plusieurs
choses : « Nous les chrétiens sommes d’abord Palestiniens. Nous ne voulons pas cohabiter avec les musulmans. Nous voulons vivre avec les musulmans. Je
ne suis pas le curé seulement pour les 300 catholiques de Gaza, mais pour 1,4 million de personnes qui vivent à Gaza. »
Puis il conteste la thèse d'une prétendue persécution anti-chrétienne en Palestine. « Les chrétiens ne souffrent pas des musulmans. Les chrétiens souffrent
du conflit, comme tout le monde. Et certains chrétiens s’en vont pour cette raison-là.
Mais, chez nous, c’est les musulmans qui ont protégé l’église. En réalité, « les chrétiens » signifient « les croisés », c'est-à-dire les Occidentaux agressifs et en
l’occurrence chrétiens. Les chrétiens sur place sont des « nazares » et sont protégés par les musulmans. »
En tout cas, on imagine mal comment ce curé-là en particulier pourrait souffrir d’une quelconque persécution religieuse. A l’école qu’il dirigeait, les
professeurs sont musulmans comme l’immense majorité des 1200 élèves, dont des fils de ministres du Hamas.
Manuel Musallam a reçu une nouvelle mission. De retour à Bir Zeit, en Cisjordanie, d’où il est originaire, il est
membre d’un comité islamo-chrétien qui prépare un colloque en novembre prochain sur l’avenir de Jérusalem. Il a aussi été chargé par les chrétiens palestiniens de présider le département « Monde
chrétien » pour développer des relations avec des responsables chrétiens au niveau international.