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C'est l'espace (un de plus mais il n'y en a jamais assez) des sans-voix, des opprimés, mais aussi celui des femmes et des hommes qui agissent pour le plus grand bien de la Révolution.

Dans la peau d'une femme de ménage (1ère partie)

Huit jours avant la sortie du « Quai de Ouistreham », aux Editions de l'Olivier, « le Nouvel Observateur » en publie les bonnes feuilles. Le fruit d'une immersion de six mois dans le quotidien des travailleurs précaires

Lorsque Florence Aubenas a demandé à prendre un congé sabbatique, la rumeur a couru qu'elle partait écrire un roman au Maroc. Quelques mois plus tard, on a compris que le Maroc n'était qu'un écran de fumée destiné à protéger son véritable projet. Florence s'était installée à Caen où, dans le plus grand secret, elle avait décidé de s'inscrire au chômage et de chercher du travail. Elle avait conservé son nom, ses papiers, tiré ses cheveux en arrière après les avoir teints en blond, pris l'habitude de garder ses lunettes sur le nez. L'expérience a fonctionné. A deux exceptions près, personne n'a reconnu la journaliste dont le portrait s'affichait sur les murs quatre ans plus tôt, à l'époque où elle était détenue en Irak.
Pendant six mois, de février à juillet 2009, Florence Aubenas s'enrôle dans cette armée de CDD qui constitue aujourd'hui une nouvelle classe ouvrière. Elle fait la tournée des agences d'intérim où, quand on ne l'éconduit pas d'un : « Vous êtes plutôt dans le fond de la casserole, madame», on la traite, dit-elle, «avec une douceur d'infirmière dans un service de soins palliatifs ». Jusqu'au jour où une conseillère de Pôle Emploi lui assure que, dans son cas, la meilleure solution, c'est de s'orienter vers la spécialité d'agent de nettoyage. Au bout d'un mois et demi, la voilà employée à bord du ferry pour l'Angleterre, à Ouistreham, à récurer les cabines et les toilettes. Une heure par jour, de 21h30 à 22h30. Viendront s'ajouter d'autres boulots, quand ce ne seront pas quelques heures attribuées au dernier moment. Au total, elle ne gagnera jamais plus de 700 euros par mois.

Florence raconte de façon saisissante ce qu'elle a vécu. La fatigue nerveuse, les horaires qui n'en finissent pas, les déplacements incessants d'un travail à l'autre, la vulnérabilité qui oblige à subir et à fermer sa gueule, mais aussi la solidarité et les moments de bonheur arrachés à un monde où une prime de licenciement de 200 euros fait figure de parachute en or et un CDI de 5h30 à 8 heures le matin, de passeport pour le paradis.

"Tout le monde m'avait mise en garde. Si tu tombes sur une petite annonce pour un boulot sur le ferry-boat à Ouistreham, fais attention. N'y va pas. Ne réponds pas. N'y pense même pas. Oublie-la. Parmi ceux que j'ai rencontrés, personne n'a travaillé là-bas, mais tous en disent la même chose : cette place-là est pire que tout, pire que dans les boîtes de bâtiment turques qui te payent encore plus mal qu'en Turquie et parfois même jamais ; pire que les ostréiculteurs, qui te font attendre des heures entre les marées avant d'aller secouer les poches en mer par n'importe quel temps ; pire que dans le maraîchage, qui te casse le dos pour des endives ou des carottes ; pire que les grottes souterraines de Fleury ces anciennes carrières de pierre, puis abris antiaériens pendant la guerre, devenues aujourd'hui des champignonnières, qui te laissent en morceaux au bout d'un après-midi de travail. Pour les pommes, on en bave aussi, mais la saison commence plus tard. Ces boulots-là, c'est le bagne et la galère réunis. Mais tous valent mieux que le ferry d'Ouistreham.



A suivre







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