Comme une épitaphe au mois de décembre : maintenant que le danger est éloigné, nous avons capturé pour vous toute la beauté de décembre 2008. Vous
pouvez en profiter calmement et en toute sécurité. Approchez-vous ! Achetez ! Il n’y a aucun risque. Il n’y a pas de flammes. Il n’y a pas de colère. Rien que des mots. De jolis mots.
Rien que des images. De belles images. Nous avons capturé le rêve et nous l’avons dévêtu de sa dangereuse force, et nous vous l’offrons à bon prix. Et bien sûr avec copyright…
Nous qui avons lu « l’information », avons été submergés par la rage. Comment osent-ils ? Mauvaise question. Ils osent parce qu’il est
urgent pour eux, ceux d’en haut, d’en finir avec ce mois de décembre. D’en faire une « belle histoire ». De le restreindre à un instant « spontané » qui s’est achevé.
Pourtant, eux aussi se trompent : le « spontané » n’existe pas. Il n’a jamais existé. La colère ne peut être réduite à un instant. C’est du passé, et c’est aussi un présent que
nous inventons et un futur que nous rêvons… Et on ne peut emprisonner le rêve… Pas plus que la colère… L’histoire s’égraine comme un récit quotidien, rien de plus… Un récit…
Mardi 15 décembre, une grande quantité du livre Inquiétudes a été expropriée des Editions Kastaniotis
L’histoire pourrait commencer ainsi : Par un jour ensoleillé… Mais non ! Le 15 décembre, il pleuvait, et peu importe le temps qu’il faisait. La
ville dormait ou travaillait aux rythmes exhaustifs de la normalité. Nous, nous avions d’autres intentions. Nous avions pris notre décision en accord avec nos souhaits et nos propres
nécessités. Une idée de plus, un travail de plus du « négatif ». Rien ne rend une idée plus pointue que de la ciseler avec la réalité. Le rendez-vous était fixé, cette fois-ci par
nous-mêmes. Nous-nous sommes rendus aux Editions Kastaniotis. Notre objectif était l’expropriation du plus grand nombre possible du livre Inquiétudes.
Contrairement à ce livre, nos inquiétudes n’ont pas de « prix », pas plus que de copyright. Même si nous devions nous reconnaître dans les pages
de ce livre, il ne plairait pourtant à personne que ses rêves et ses luttes soient transformés en archives des supermarchés de la pensée et en « nourriture » devant la faim
conformiste et consumériste d’un « public alternatif ». Ainsi, après avoir bien étudié notre plan d’action, nous sommes entrés dans la librairie. « Bonjour, nous sommes venus
chercher quelque chose qui nous appartient », leur avons-nous dit. Il est vrai que nous avons de sérieux problèmes avec le capital et la propriété, mais nous avons aussi un problème
sérieux avec ceux qui commercent avec les perceptions et les pratiques révolutionnaires, qui plus est lorsqu’il s’agit de notre vécu de décembre 2008. Nous-nous sommes dispersés dans tout le
magasin. Quelques uns sont restés dans l’entrée à expliquer aux travailleurs les raisons de cette surprise festive, alors que d’autres mettaient les livres dans des sacs. L’expropriation s’est
rapidement terminée sans aucun incident. Un employé nous a posé la question classique : « Pourquoi ne pas nous avoir demandé les livres ? Nous vous les aurions donnés ».
Mais nos intentions étaient claires : nous ne venions pas faire la manche, nous venions exproprier les livres pour les rendre à la rue, cars c’est à la rue qu’ils appartiennent. Et cela
s’est passé ainsi.
Extrait du texte qui a été distribué à cette occasion :
« …Si décembre dernier avait un sens, celui-ci ne se limite pas à l’expression d’une inquiétude de
la jeunesse, comme tentent de le faire croire au public tous ceux qui veulent nous ranger au musée et dans les archives, pour perpétuer la satisfaction d’une bonne lecture sur un canapé. Car
décembre n’est tout simplement pas fini.
Décembre avait un sens car il fut une revendication qui nous permit de prendre conscience de la vie et de sa richesse, totalement opposée à la
mort : de cette vie qui ne se vit pas car elle sert à tout le reste : travailler, consommer, s’empoisonner pour tenir bon, se reproduire pour oublier. C’est cela que nous avons nié,
ensemble, par milliers : des immigrés, des hooligans, des « vagabonds », des adolescents, des fous, des punks, des anarchistes, des communistes…
L’expropriation du livre Inquiétudes nous rappelle que cette pratique, celle de l’expropriation massive, était habituelle en décembre 2008. Comme nous
avons exproprié-libéré collectivement le produit de notre activité créative, de la domination du capital, nous exproprions-libérons le produit de l’activité destructive-créative de ce
décembre là. Ce produit est libéré de vos pages bien illustrées. Cette expropriation nous permet de retrouver calme et sérénité, malgré la manifestation de votre mauvaise éducation, lorsque
vous avez publié nos matériels et que vous les avez mis en vente.
La logique qui régit nos pamphlets, manifestes, affiches, autocollants et tout autre type d’action, est celle du partage. Nous ne revendiquons aucune
originalité, ni droits d’auteur, ni même la « sainteté » de ce que nous avons fait et écrit, parce que tout est issu de la sphère « collective », de l’usage commun, et
nous voulons qu’il en reste ainsi. Nos actes sont ceux des « communautés de lutte » qui les ont créés, et qu’elles continueront de créer par milliers. Ainsi, nous ne pouvons en
aucune manière permettre la transformation de tous ces gestes en archives pour musées ou pour esprits « de lecteurs sensibilisés ». Le regroupement des archives est nécessaire comme
outil pour un usage futur, et toujours dans le cadre des mouvements sociaux. Leur usage est utile. Les archives ne sont pas belles. Outil, pas fétiche. Le minimum que nous pouvions faire
était de les exproprier et de les distribuer à leurs véritables créateurs.
Le regroupement de tout ce matériel signifie, et présuppose un éloignement, une distance très claire de son contenu. Une distance qui pour les
responsables de cette publication fut une « distance en temps réel » quand tout ce matériel vivait dans les rues. Et cela présuppose l’admiration de ce matériel depuis le canapé de
vos maisons au moment des faits. C’est ainsi qu’avec la sécurité que vous offre cette « chronique à distance », protégés par votre univers de « propriété intellectuelle »,
vous essayez d’apporter votre contribution à ce qui s’est passé il y a un an. Pourtant, tout ce à quoi vous contribuez, c’est sa répression.
Propriété intellectuelle sur quelque chose qui a dédaigné tout type de propriété, cela signifie que l’esprit de ce dédain n’est pas très clair pour vous.
Cela signifie que les responsables de cette publication n’ont pas voulu se reconnaître parmi les sujets enragés qui figurent sur le matériel édité. Cela signifie que dans « un monde qui
marche la tête à l’envers », l’authentique est seulement un instant du mensonge. Le regard « sensible » et photographique des deux responsables ne suffit pas à expliquer la
haine et la rage. Ce dont ils ne font pas l’éloge dans ce livre-marchandise, c’est la haine des personnes impliquées envers la marchandise. Ce qu’ils ne racontent pas dans cette
« propriété intellectuelle », c’est la haine de toutes les personnes impliquées devant tout type de propriété…
… Dans tous les cas, ne vous préoccupez pas. Vous aurez de nouveaux matériels pour la deuxième édition. Et à chaque nouvelle édition, c’est nous qui
aurons le dernier mot. Comme le dit le résumé du livre, « …ce monde a existé ». Nous ajoutons seulement que ce monde continue d’exister, et aujourd’hui, une petite partie de ce
monde a décidé de rendre une visite aux librairies de votre maison d’édition. Votre tentative d’incorporer ce monde n’est et ne sera rien d’autre que des coups d’épées dans
l’eau.
Nos attaques seront sans fin.
Les hostilités continuent ».