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8 mars 2010 1 08 /03 /mars /2010 23:01



En hommage au Père Gilbert, qui a m’a aidé à quitter cet asile de fous où les malades ne sont pas toujours du côté où l’on pense.

Par hengxi (son site)
Cela fait plusieurs fois que je lis des articles sur les problèmes des prisons, débat aussi récursif et stérile que celui de l’identité nationale, si chère à certains, mais qui m’a donné l’envie de rédiger ce modeste billet, ayant été à un moment de ma vie moi aussi derrière les barreaux.
 
Mon délit, mon crime ?
Le chômage, car c’est lui qui m’a conduit avec une centaine d’autres à créer une espèce d’association de malfaiteurs, dont le nom sera Promotion 1977. Pour certains, j’étais du bon côté du mur, dans les faits, pas si sûr.

J’ai donc exercé ce travail de surveillant pénitentiaire pendant deux ans, à la suite de quoi j’ai donné une méritée démission à mon administration de tutelle, content de fuir le milieu carcéral, tout en en ayant tiré une expérience utile, comme d’ailleurs le sont toutes celles de la vie.
25 ans, célibataire, mon lieu d’affectation était tout désigné : Fleury-Mérogis, plus important établissement pénitentiaire de France, prison qui se voulait au départ modèle techniquement, mais qui s’est avérée être un fiasco total, tant de ce point de vue technique qu’humain.
 
Fleury, c’était à sa conception la maison d’arrêt sans surveillants et sans barreaux ; sans surveillants ou presque, car tout y était électrique, avec une ouverture centralisée des portes qui dès l’inauguration du bâtiment s’est révélé défectueuse, obligeant à rapatrier d’urgence des centaines de personnels ; sans barreaux, car remplacés par une vitre incassable à l’épreuve des balles, mais qui que les détenus s’amusaient à déformer en la soumettant à la simple chaleur de l’huile chaude versée dans une boite de café.

Après 3 mois d’apprentissage dans l’école dédiée au nom ronflant d’ENAP (Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire) et 2 semaines en binôme avec un autre surveillant, me voilà lâché dans le grand bain des criminels et autres délinquants de droit commun, aidé par le « taser » de l’époque, soit un sifflet, d’ailleurs du même modèle que ceux des arbitres qui nous géraient lors des parties de rugby. Comme ces « hommes en noir » du dimanche, chargés de veiller à l’application des règles, notre rôle essentiel est celui de faire respecter le calme, du moins apparent, réglant les nombreux problèmes de manière interne à l’aide de traitements médicaux ayant pour but d’assommer les personnes turbulentes et de brimades dont certaines parfois physiques.

Paradoxalement, une des premières choses que j’ai remarqué, c’est que l’ambiance était bien moins tendue avec la majorité des détenus qu’avec un certain nombre de surveillants. Du refoulé dans sa vie de couple qui, une fois coiffé de la casquette règlementaire se prend pour un policier plus ou moins à tendance SS, hurlant ses ordres à des détenus qui en rigolent, à l’alcoolique chronique qui dans la nuit ouvre accidentellement 200 cellules en s’effondrant sur le pupitre électrique (je l’ai personnellement vécu), j’y ai à peu près tout vu, et ce, sous le regard complaisant de l’administration pénitentiaire.

Ah, l’administration pénitentiaire, en voilà une qu’elle est belle et bonne, envoyant des directeurs débutants dans ce laboratoire grandeur nature, alors que le nombre de détenus et leurs origines variées auraient demandé à avoir les plus expérimentés :

- Un exemple, un exemple !

- Bon d’accord !
Je rentre de 3 jours de congés, prend les consignes du surveillant que je dois remplacer. Celui-ci me précise que 5 minutes auparavant, a été écroué un détenu qui risque de me surprendre, je pars faire le tour des cellules. Arrivé au milieu de celles-ci, j’ouvre une porte et me trouve face à une magnifique blonde dénudée en train de faire sa toilette. J’en informe mon chef, qui dit être au courant, mais s’en moquer totalement. Descente au bureau du directeur, où celui-ci m’explique qu’il s’agit d’un transsexuel arrêté pour trafic de stupéfiants, ses papiers d’identité étant ceux d’un homme, il doit donc être avec les hommes. Je lui explique que ce détenu risque gros si on le met en promenade avec les autres, réponse : cela ne vous regarde pas. Une heure plus tard, le détenu en question sera victime d’un viol collectif, et devra être hospitalisé dans un état grave, je ne l’ai jamais revu.

Un autre, un autre !
Bon d’accord !

11 mars 1978, je prends mon service du matin ; à ma descente de voiture, je suis surpris d’entendre des milliers de détenus qui, ayant ouvert leurs fenêtres ont entonné la chanson de Claude François : « Si j’avais un marteau », en modifiant il est vrai quelque peu les paroles, le chanteur était mort quelques heures auparavant. Mot d’ordre du directeur : « Faites les taire ! », réponse presque collégiale : « Allez y vous même ! »
En détention, les riches restent riches, les pauvres toujours aussi pauvres, et ils étaient nombreux dans cette classe sociale à demander l’uniforme réservé aux condamnés pour avoir un habit propre sur eux. D’autres dans le même temps recevaient leur petit déjeuner en peignoir de soie au milieu d’une cellule cirée, parfumée, continuant leur business grâce aux ordres passés lors des très fréquentes séances de parloir avec leur famille ou leurs avocats.
 
Fleury était aussi un point de concentration pour les personnes expulsées vers leur pays d’origine après avoir purgé leur peine. Pour certain d’entre-deux, il s’agissait d’un simple aller-retour, car une fois dépensé l’argent versée par l’administration française, dont une bonne moitié servait à se procurer de faux papiers dès leurs arrivées au port de destination, souvent délivrées par les services officiels su pays, ces personnes revenaient souvent nous rendre visite, ce qui faisait dire à certains surveillants que la cantine était bonne.

En tant que prison « modèle », il y avait les visites du tout nouveau directeur général, ou encore du tout juste promu ministre de la justice, à qui la direction faisait visiter des cellules vidées la veille de leurs occupants et désinfectées afin que les officiels n’attrapent pas la gale . Visites également de ces ateliers où des concessionnaires venaient exploiter cette misère humaine, comme par exemple Bic qui faisait fabriquer ses stylos 4 couleurs, ou quelques directeurs ou amis de ceux-ci qui y faisaient fabriquer les meubles destinés à embellir à bas prix leur maison de campagne.

 Lors de mon séjour, j’ai eu bien plus de conflits avec les surveillants qu’avec les détenus, ajoutant 5 minutes de parloir par ci par là à des personnes dans le plus grand dénuement tant moral que financier, et que leur femme ou mère venaient voir trop rarement après avoir fait des centaines de kilomètres ; idem pour les bières en trop, que je laissais dans la cellule au lieu de les confisquer, comme faisaient d’autres, héritiers de l’autorité conféré. Si ce mode de fonctionnement m’a valu une certaine animosité de la part de certains fonctionnaires, cela a également provoqué la sympathie et le respect d’un grand nombre de détenus, dont certains avec qui je garderai des relations après leur sortie, et qui m’aideront à trouver un boulot après ma démission (boulot honnête, je précise).

Cette démission, que je n’ai jamais regretté malgré les quelques mois de galère qui s’en sont suivis, je la doit en partie à un homme exceptionnel, un prêtre ouvrier du nom de Gilbert qui venait discuter avec certains détenus. Bien au-delà d’une mission religieuse, cet homme apportait aux détenus en perdition momentanée le soutien moral que nous, surveillants pénitentiaires, n’avions officiellement pas le droit de fournir, mais qui se révélait bien plus efficaces que les brimades auxquelles étaient confrontées les détenus de la part de certains personnels. C’est en voyant en effet l’action de cet homme que je me suis rendu compte que tant mon rôle que mon uniforme ne me convenaient pas.

C’est ce rôle de porte-clefs et de garde-chiourmes qui n’ont jamais évolué, sans pour cela que cet immobilisme soit lié à la volonté politique d’un camp politique distinct, les gouvernements successifs n’ayant fait que du marketing électoral.
 La raison profonde de cette stagnation est fort simple, résidant dans le fait que peu nombreux sont ceux qui connaissent réellement ce milieu carcéral, et que, quand il en est fait écho, celui-ci provient bien souvent de personnes ayant été du « mauvais côté » de la barrière, perdant par là même une bonne part de leur crédibilité.
 
Les arguments des opposants à une vie humaine décente dans ces lieux, je les connais par cœur avec ses : ce sont des délinquants, des criminels, on ne les a pas invité, les victimes, etc.., mais tout cela ne tient pas une seconde face à ce qu’est la dignité humaine, un des rares points sur lequel aucune argumentation ne tient pas dans un pays réclamant le titre de patrie des droits de l’homme. Cette dignité humaine bafouée est un des quelques outils de ce système pénitencier, où le but principal est de casser le détenu, non pas pour le faire rentrer dans le « droit chemin », mais pour assurer la paix sociale tant à l’intérieur des établissements, que lors de sa sortie, et ce, quelque soit l’état dans le quel il sort.

Pour conclure, je dirai que je n’ai jamais autant vu d’injustices notoires qu’en travaillant dans ce lieu, ce qui est assez paradoxal pour le Ministère de la Justice. Passe-droits suivant sa classe sociale et sa notoriété publique, suicides dissimulés en accidents, abrutissements par des traitements médicaux, tout cela est la face plus ou moins cachée de cet échec de la société que sont les prisons, en France, mais aussi ailleurs. Si des évolutions notables ont été faites au niveau de bien des secteurs comme la santé, le travail, les loisirs, les établissements pénitentiaires restent le trou où l’on cache ce dont est le moins fier, préférant illuminer de paillettes ces quelques succès techniques, qui il est vrai sont bien plus visibles et s’adressent à une opinion persuadée qu’elle ne fréquentera jamais ces lieux de perdition.




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