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19 janvier 2010 2 19 /01 /janvier /2010 13:39
  André Brink: "Mandela est parti trop tôt"

  Photo : Eric Garault

André Brink fait paraître ses Mémoires, Mes Bifurcations. Son histoire se confond avec celle de l'Afrique du Sud, de l'apartheid injuste à la démocratie fragile.

 

Par Philippe Delaroche et Christine Ferniot, publié le 18/01/2010 à 12:28


Question : Après la publication de L'amour et l'oubli, en 2006, sorte d'autobiographie romanesque et amoureuse, voici vos Mémoires, intitulés, Mes bifurcations. Est-ce un livre vraiment différent ou un autre point de vue sur vous-même ?

 

André Brink. L'amour et l'oubli était un texte plutôt romanesque. Je racontais là des histoires et des situations que j'aurais aimé vivre. Par conséquent, l'écriture devenait une façon de les vivre. Comme dans tous mes romans, il y avait une part de moi et une autre part imaginaire. Mais cette fois, avec Mes bifurcations, je me devais de rester aussi fidèle que possible à mes souvenirs. On peut dire que ce récit est un devoir de mémoire. En outre, depuis plusieurs années, j'étais poussé à l'écrire par mes éditeurs. Il m'a tout de même fallu trois ans. Et si j'ai été heureux de le mettre en oeuvre, je suis vraiment content maintenant de revenir à la fiction. Ce que je recommence d'ailleurs à faire, en ce moment même, avec bonheur. En fait, ce livre, Mes bifurcations, fut pour moi le plus pénible à écrire car même les moments les plus heureux avaient des côtés ténébreux.


Dès l'enfance, on sent que votre vie en Afrique du Sud est marquée par la violence, celle de votre famille, celle de la religion, celle du racisme au quotidien.

 

A.B. La violence était toujours là même si, plus jeune, je voyais mon enfance comme une époque dorée, heureuse. Plus tard, l'écriture m'a fait prendre conscience de cette violence spectaculaire... et feutrée. Je me sentais protégé par l'amour des autres et n'étais pas conscient des atrocités de ce pays. Cette prise de conscience a changé ma vision du passé.

 

Vous dites à un moment de votre livre que la fameuse prise de conscience du langage s'imposa le jour où vous avez commencé à apprendre l'anglais. Le désir d'écrire est-il apparu à ce moment-là ?


A.B. Cette conscience de ma langue, puis de toutes les autres langues, m'a rendu l'écriture incontournable. C'était, et cela reste encore, une joie très spéciale de comprendre l'autre, d'entrer en contact avec lui.

Si l'on croit que c'est une réalité comme l'apartheid qui m'a poussé à écrire, on se trompe. Tout a commencé avec la langue : la langue sans laquelle un mot comme "apartheid" n'existerait même pas. A travers les langues de chacun, je voulais entendre et transmettre "la parole des gens ordinaires". Ceux que je rencontrais et qui racontaient des contes fabuleux, comiques, enrichissants. Enregistrer cela me permettait de plonger au centre du mystère et de la magie, de me trouver au coeur du monde et communiquer avec les autres.

 

Quelles langues parlez-vous ?


A.B. L'afrikaans bien sûr, l'anglais, le français, le néerlandais, l'allemand, un peu d'italien, d'espagnol, de portugais. C'est une façon de me dire, chaque fois que je vais dans un pays, qu'il me faut auparavant apprendre la langue pour me préparer à la rencontre d'un nouvel espace, d'un peuple, d'une société. Chaque langue possède quelque chose qui ne peut s'exprimer ailleurs. Et c'est la recherche de cette particularité, de ce noyau étrange et magnifique qui se cache en son sein, que je veux approcher. Je ne peux m'empêcher de continuer, embarquer et explorer encore et encore.


Mais votre langue maternelle reste l'afrikaans ?

 

A.B. Oui, bien sûr.


Et vous l'aimez toujours ?

 

A.B. Oui, je l'aime passionnément. Et je ne cesserai jamais de m'en servir pour écrire, bien qu'au fil des années je me sois mis à écrire dans les deux langues, l'afrikaans et l'anglais, pour des raisons pratiques. Après avoir été frappé par la censure, je me sentais comme une sorte de "non-personne". La seule façon de sortir de l'impasse était de commencer à écrire en anglais. Mais je n'ai jamais cessé d'écrire en afrikaans. D'autant plus qu'à cette époque l'afrikaans était perçu un peu partout comme la langue de l'apartheid. En me servant de l'afrikaans comme d'une langue de résistance, je voulais démontrer que cette langue était beaucoup plus grande que celle d'un petit groupe qui s'en était emparé pour produire un pouvoir politique.

 

Pensez-vous avoir obtenu ce que vous recherchiez : c'est-à-dire que l'afrikaans ne soit pas seulement la langue des colons mais celle de la république d'Afrique du Sud ?


A.B. Oui, parce qu'au début elle était la langue fabriquée par les esclaves noirs venus d'ailleurs, et qui portaient les souvenirs de plusieurs mondes qui existaient dans la distance et nourrissaient les rêves et les imaginations. C'était donc vraiment la langue du peuple en Afrique du Sud.


N'est-elle pas une langue aux multiples emprunts : néerlandais, anglais... ?


A.B. Comme partout. Il y a en elle du français, de l'allemand, du malais, et, un peu plus tard, plusieurs langues indigènes des Noirs venus du Nord. Et c'est le plaisir d'un tel métissage qui me la rend précieuse. Elle est le symbole de la pluralité des mondes qui se trouvent en elle, à l'intérieur de cette langue qui s'appelle l'afrikaans.

 

Quel est votre mot préféré en afrikaans ?


A.B. Il y en a un qui est remarquable. C'est janee. Il veut dire "oui-non".

 

Et en français ?

 

A.B. Bienveillant.

 

Et en anglais ?

 

A.B. Shit...

 

Boulimique dès l'enfance pour tout ce qui concerne l'appréhension de ces langues, étiez-vous également un lecteur avide ?


A.B. Enfant, je ne voulais pas seulement dévorer les contes mais retourner aux phrases déjà lues pour comprendre le travail de l'écrivain, savoir comment il faisait pour transmettre son savoir. Une curiosité énorme me poussait à l'intérieur de la langue pour comprendre la boîte à outils de l'écrivain qui était une véritable boîte à merveilles.


Vous comparez la magie des mots à celle du sexe.

 

A.B. C'est une communication intense avec un autre : langage et sexualité sont les deux expériences essentielles de la vie.

 

Avec le recul du temps et de l'écriture, vous semblez étonné de ne pas avoir vu ce qui se déroulait sous vos yeux d'enfant et d'adolescent dans votre pays : cette tension permanente entre Blancs et Noirs.


A.B. Avec l'habitude, sans doute, une tension constante finit par devenir la normalité. Ainsi, j'aime bien rappeler en exemple cette histoire récente, dans la nouvelle Afrique du Sud : celle de l'amitié d'un fils d'un ami du Cap. Ce petit garçon blanc de cinq ans entre en maternelle et se lie d'amitié avec un petit garçon noir. Ils sont inséparables et, un après-midi, le petit garçon blanc voit le père de son copain venir le chercher à la sortie de l'école. Le lendemain, il se précipite vers son camarade pour lui dire, ébahi : "Mais tu ne m'avais pas dit que ton papa est noir !" Si notre système éducatif laisse à désirer, cette anecdote est tout de même la preuve que l'Afrique du Sud est sur la bonne route. Beaucoup de choses ne vont pas, mais sur le plan de l'éducation il y a la possibilité, pour la première fois, que différentes races se rencontrent à l'école, au travail. C'est le commencement d'une toute nouvelle vie, d'une nouvelle génération. Les choses étaient tellement différentes lorsque nous allions à l'école. Blancs et Noirs n'évoluaient jamais dans les mêmes univers. Si, pendant les vacances, les garçons noirs et blancs passaient la journée à jouer ensemble, le soir, les Blancs rentraient dans la demeure du propriétaire et les Noirs dans leurs cahutes. Personne ne remettait en cause cette répartition...

 

Est-il vrai que votre premier séjour à Paris vous a fait prendre conscience de ce qui se passait chez vous, à des milliers de kilomètres ?


A.B. En mars 1960, j'étais à Paris, au jardin du Luxembourg précisément, quand me parvinrent les nouvelles des atrocités en Afrique du Sud : le massacre de Sharpeville où soixante-neuf Noirs avaient été tués et beaucoup d'autres blessés par des policiers qui avaient ouvert le feu sur un cortège de manifestants pacifistes. Je pris peu à peu conscience que dans tout ce bourbier il me faudrait impérativement redéfinir ma propre position.

 

Vous faites une véritable déclaration d'amour au Cap, où vous vivez actuellement. Vous y revenez donc toujours ?


A.B. Toute ma jeunesse a été marquée par l'instabilité. Mon père était magistrat, nous étions obligés de déménager tous les quatre ou cinq ans. Nous n'avions donc jamais le temps de nous enraciner quelque part. Mais les vacances d'été se déroulaient au Cap, là où se trouvaient les familles de mon père et de ma mère. C'était notre point de référence, notre constance.

 

Dès votre premier roman, Au plus noir de la nuit, vous vous trouvez confronté à la censure qui interdit ce livre. Quelle était votre vie d'alors ?


A.B. Le pire, c'est qu'il ne s'agissait pas simplement de l'interdiction d'un livre. Une fois que le roman a été frappé de censure, ça a éveillé l'intérêt de la police de sécurité. Et, à partir de ce moment-là, on s'est retrouvés au centre de leur attention. Il y avait des fouilles dans les maisons, des visites en pleine nuit, des menaces de mort. C'est cette expérience qui rendait la vie très dure. Mais, en même temps, il faut ajouter qu'à cause de la censure il y a eu cette remarquable fraternité, sororité, entre les écrivains. Mais aussi avec tous les artistes : écrivains, peintres, sculpteurs, danseurs, musiciens... Nous étions tous menacés par le même ennemi. Et cela donnait un sens à la solidarité : elle nous aidait à échapper, un peu, à notre isolement, à cette solitude qui d'ordinaire enferme le créateur. Au fond, tout cela est un de mes meilleurs souvenirs qui restera gravé pour le reste de ma vie. Travailler ensemble, monter des projets qui nous dépassaient parce que le projet idéal était bien plus grand que nous.

 

En plus de cette fraternité, n'y avait-il pas la possibilité d'être traduit, de vous faire éditer dans d'autres pays et de faire connaître votre travail ailleurs ?


A.B. C'était un côté positif de la censure qui nous permettait de créer cette solidarité dans la résistance. Au début, elle était essentiellement littéraire mais elle est devenue très vite une contestation politique. Elle nous a également donné l'occasion d'être traduits dans d'autres langues, d'être publiés dans d'autres pays. Pour moi, la publication d'Au plus noir de la vie est devenue un succès mondial, en Angleterre d'abord, puis en France, en Allemagne, en Hollande, dans les pays scandinaves, et même en Grèce et en Russie. C'était bouleversant.

Pour moi, écrivain blanc, c'est devenu un souvenir presque positif. Mais il y avait des aspects ténébreux. Surtout quand on était un auteur noir. Pour un écrivain noir, il n'était pas seulement question de censure mais de danger physique, de disparition, de suicide. Mais la solidarité, le travail commun, la conviction qu'on se trouvait ensemble dans une entreprise qui valait quelque chose donnait un sens à ces tentatives. Voilà pourquoi c'était devenu supportable.

 

Votre passion pour le théâtre, qu'on connaît moins bien que vos romans, est-ce aussi une façon de travailler avec les au-tres ?


A.B. Pour moi, ça reste une façon de m'engager avec le monde : interpréter ce qui se passe dans le monde. Quand on a la joie de travailler ensemble à un projet, c'est enrichissant. Enfant, adolescent, j'étais un solitaire. J'ai des amis, mais pour l'essentiel, je suis seul. Et l'écriture est devenue une façon de me tirer de cette solitude, de me donner au moins l'illusion d'être en communication avec les autres à travers ce que j'écris. De temps à autre, il y a des échos qui me viennent de l'extérieur et c'est merveilleux de constater que quelqu'un m'a entendu, écouté et compris. C'est ce qui rend la vie vivable.

 

Mais lorsque vous voyagez, et vous voyagez beaucoup, ne rencontrez-vous pas les autres ?


A.B. Lors de mes voyages, je suis encore plus solitaire. Il y a toutes sortes de rencontres, d'expériences, mais, à la fin de la journée, je me presse de trouver asile dans ma chambre d'hôtel pour être seul. C'est ce qui me reste de mon enfance où mes amis les plus intimes étaient les arbres, les pierres, la nature. C'est à cause de ces rares moments que la vie devient possible : quand on se sent capable de souffrir les peines de la solitude. En même temps il y a une sorte de réconfort dans cette absence au monde, comme une manifestation de l'ampleur de la vie, l'impression de mieux la comprendre. Si on est seul, on peut remplir ce temps avec tellement de pensées, d'imagination et embarquer dans des aventures remarquables.

 

Vous paraissez plutôt sombre au fil de votre autobiographie et inquiet de l'évolution de votre pays. Est-ce de la méfiance, du pessimisme, un constat ?


A.B. Pendant l'époque de Mandela, tout allait bien, trop bien peut-être. Puis il y eut la drôle d'expérience de Thabo Mbeki, le Giscard de l'Afrique du Sud. Et maintenant, on ne sait pas exactement où l'on est. Mais c'est une période assez curieuse parce que, avant les élections de ce début d'année 2009, je me méfiais totalement de Jacob Zuma, qui est aujourd'hui le président. Or, dès son installation au pouvoir, il a commencé à envoyer des signaux, à indiquer qu'il serait prêt à écouter tous ceux qui voudraient lui dire quelque chose. Il est vraiment curieux de savoir ce qui se passe dans le pays. Thabo Mbeki restait dans une sorte d'isolement splendide. Il était un intellectuel dans le mauvais sens du terme. Pourtant, au début, il était quelqu'un de remarquable, nous étions amis. En revanche, je ne connais pas Jacob Zuma, je ne l'ai jamais rencontré, je n'ai aucune idée de qui il est. Et, justement, je pense qu'il faut explorer les possibilités de le rencontrer, pour sentir sa pensée.


Vous pensez que l'avenir de l'Afrique du Sud est incertain. Avez-vous de l'espoir ?


A.B. Le mot est encore trop fort. Le temps est meilleur aujourd'hui qu'à l'époque que nous venons de traverser. Je crois que tout cela vient du contraste énorme entre l'espoir ressenti après l'accession de Mandela au pouvoir et, ensuite, la déception ter-rible qui a suivi.

 

Et la corruption ?


A.B. Elle est ahurissante. On a vécu avec la corruption en Afrique du Sud pendant très longtemps. Déjà au temps de l'apartheid. Mais aujourd'hui, elle se manifeste partout. Et surtout là où l'on s'y attend le moins. Dans les milieux intellectuels, religieux. Partout. Et, pour moi, la déception vient surtout du fait qu'avant le changement politique en Afrique du Sud j'avais eu l'occasion de rencontrer la plupart des dirigeants de l'ANC, qui se trouvaient alors en exil. Je les rencontrais un peu partout dans le monde et j'étais impressionné par ces hommes, des gens exceptionnels à tous égards, sur tous les plans. Je me suis bien dit que je n'étais pas un enfant, ni un innocent, ni un naïf, mais, vraiment, ces gens m'impressionnaient si fort que je croyais à un changement radical dès que le nouveau régime serait installé. Puis, une fois arrivés au pouvoir, la plupart de ceux que je croyais connaître, que je croyais mes amis... ont dérapé.

 

Juste après le départ de Nelson Mandela ?


A.B. Oui, juste après. En fait, Nelson Mandela est parti trop tôt. Mais, au vu de tout ce qui se passait en Afrique, il ne voulait pas rester pour un second mandat. Il voulait céder sa place à quelqu'un de plus jeune. Mais pour le pays, c'était trop prématuré ; il n'avait pas eu assez de temps pour laisser son empreinte sur le pays. Et comme il a une éthique très stricte, il refuse de se mêler de ce qui se passe. On sait qu'à deux ou trois reprises il s'est tout de même exprimé : sur le sida et sur la situation au Zimbabwe. Mais il veut rester en dehors.

 

N'y a-t-il aucune personnalité qui puisse s'imposer après Mandela ?


A.B. Il est devenu trop facile de s'enrichir, bien trop facile de céder aux tentations de la corruption. Mais il y a peut-être une petite lueur d'espoir en ce moment. Peut-être Jacob Zuma, après Mbeki... On va voir. C'est pour ça que je veux le rencontrer, voir s'il existe des passerelles entre imagination et réalité. Je suis d'une nature plutôt optimiste.

 

La presse est-elle libre en Afrique du Sud ?


A.B. Oui, et c'est peut-être un des seuls moyens et des seuls lieux où la liberté acquise par l'indépendance de 1994 s'exprime encore. Il y eut parfois, ici ou là, des bruits menaçants : un changement, une forme de censure. Mais jusqu'ici, la presse a été partie prenante des changements dans le pays. Chaque fois qu'un scandale éclate, dès le lendemain, il y a des reportages dans toute la presse pour exiger des explications.

 

Quels journaux lisez-vous lorsque vous êtes en Afrique du Sud ?


A.B. Je lis surtout ce qui est publié au Cap, donc, le Cap Times et, en afrikaans, Die Burger, le Weekly Mayor et le Guardian.


Vous croyez toujours au pouvoir de l'écrivain ?

 

A.B. Oui, je crois au pouvoir de l'écrivain. Surtout si cet écrivain se double d'un intellectuel...Il le faut, car si je perds cet espoir, qu'est-ce que j'aurais ? Il y a eu des moments forts dans ma vie qui m'ont convaincu de ce pouvoir ; comme cette rencontre avec Mandela où il me parlait de l'importance de la lecture lorsqu'il était en prison. Voici l'exemple de ce que peut apporter la littérature : quelqu'un qui était obsédé par la nécessité de se venger et qui, à travers la littérature, a changé son point de vue ! Si cela peut s'exprimer chez un homme tel que lui, il y a un espoir pour le monde.


Pensez-vous que l'Afrique du Sud, malgré les difficultés qu'elle traverse, peut être encore un exemple pour l'Afrique ?

 

A.B. C'est une possibilité qui existe encore et toujours, même si la lumière est vacillante à cause de la corruption. Il faut se rendre compte que nous nous trouvons seulement quinze ans après le début du changement, en 1994. Et quinze ans, ce n'est rien dans l'histoire d'une nation. Et si nous comparons entre 1994 et aujourd'hui, nous pouvons constater que nous avons fait une traversée impressionnante. Donc, malgré la corruption, malgré la violence, malgré tout, je crois qu'il existe des raisons, de bonnes raisons de croire que nous sommes sur la bonne route.

Nous, lecteurs français, nous vous avons connu avec Une saison blanche et sèche qui fut un grand succès public.


Dans votre autobiographie, vous ne faites qu'évoquer ce livre essentiel. Est-ce par lassitude, parce que vous en avez trop parlé ?

 

A.B. Pas vraiment par lassitude mais j'avais l'impression que la plupart de mes lecteurs un peu partout dans le monde connaissaient ce livre et qu'il n'était pas nécessaire d'y revenir longuement. En fait, au début de la rédaction de Mes bifurcations, j'avais prévu tout un chapitre sur chacun des livres que j'avais écrits ainsi que des explications sur les motivations, les origines, les conditions. Puis, il m'a semblé, à la fin de la rédaction, que ce texte devenait un peu trop épais. J'ai coupé ce chapitre.

 

Au moment de se quitter, pouvez-vous nous lire à voix haute les dernières lignes de votre livre qui se clôt par une lettre d'amour à votre femme, Karina. Il s'agit d'un magnifique hymne à l'écriture et au pouvoir des mots, symboles de liberté.

 

A.B. "Tant que nous aurons à notre disposition les mots, nous pourrons rejoindre autrui au sein d'une chaîne de voix qui ne seront jamais bâillonnées. C'est notre unique, notre modeste, notre durable garantie en ce monde et contre ce monde. Tant que cela restera possible, je parlerai, je ne pourrai pas, je ne voudrai pas me taire. Tant qu'il y aura des

bifurcations en chemin, je serai heureux d'emboîter le pas à l'hérétique Don Quichotte et je les emprunterai".

Bio-bibliographie d'André Brink

Né en 1935, descendant de colons hollandais, André Brink a grandi dans le milieu des Afrikaners. Sa prise de conscience du racisme et de la nécessité de la lutte contre l'apartheid est venue en 1960 quand il étudie à Paris, à la Sorbonne. De retour en Afrique du Sud, il rompt avec son père et son milieu, devient professeur à l'Université. Dès l'âge de douze ans, André Brink écrit des romans, des pièces de théâtre mais c'est en 1973 qu'il publie son premier livre, Au plus noir de la nuit. Le roman est interdit, la censure bat son plein en Afrique du Sud. Dès lors, l'écrivain ne cessera d'évoquer dans ses livres la quête de justice, la fierté des peuples, la lutte contre le racisme et pour la liberté des femmes. Plus de vingt-quatre livres jalonnent la carrière de cet homme militant qui prône la tolérance des peuples et l'amour de la littérature.

C'est grâce à la littérature qu'André Brink a pris conscience de la ségrégation raciale et par l'écriture qu'il en a fait son combat. Né en Afrique du Sud, élevé dans une famille bourgeoise qui ne remettait pas en question l'apartheid, il a grandi dans un milieu austère entre un père magistrat et une mère institutrice. En venant faire des études à Paris dans les années 1960, il côtoie un nouveau monde en couleurs, rencontre des étudiants noirs, et décide de s'engager avec les moyens dont il dispose : la fiction. Depuis 1973, et son premier livre aussitôt interdit, Au plus noir de la nuit, le romancier a pris la tête d'une nouvelle génération d'écrivains afrikaners. Puis, en 1979, le monde entier l'a découvert à travers Une saison blanche et sèche, un roman qui évoque la réalité politique de son

pays en racontant le destin d'un professeur blanc indigné par la mort du fils de son jardinier noir. Aujourd'hui, André Brink publie ses Mémoires, alternant narration et réflexions, choisissant de "bifurquer" souvent pour échapper à la linéarité de l'autobiographie pure et dure. Ces chemins de traverse lui vont bien : il y parle d'amour, de théâtre, de musique, de roman, de rencontres, de voyages et de politique. Voici l'aventure d'un homme en lutte qui a toujours condamné les horreurs de l'apartheid mais s'inquiète plus encore de l'évolution actuelle de son Afrique du Sud écrasée par la corruption et du nouveau visage du racisme. Cependant, il veut garder la foi en l'avenir d'un pays qu'il aime plus que tout, à qui il a voué sa vie d'écrivain et son existence d'homme.

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